samedi 24 septembre 2011

Berlin-Express (1948)

La plupart des films d'espionnage que j'ai eu l'occasion de voir, se déroulent soit durant la Seconde Guerre Mondiale (c'est le cas de "Correspondant 17" d'Alfred Hitchcock dont je parlerai plus tard), soit durant la Guerre Froide, de James Bond à "La Maison Russie" de Fred Schepisi. "Berlin-Express" m'a donc tout de suite frappé comme une oeuvre atypique : l'histoire qu'elle raconte prend place à cette période troublée d'immédiat après-guerre, alors que les conflits entre l'U.R.S.S. et les États-Unis n'ont pas encore vraiment commencés. C'est donc ce thriller de Jacques Tourneur qui sera aujourd'hui à l'honneur de ce blog.


"Berlin-Express" commence par l'anecdote d'un pigeon tué à Paris par une bande d'enfants. Lorsque ceux-ci le ramènent chez eux, la mère d'un des gamins découvre, accroché à sa patte, un papier mystérieux en allemand. Personne ne sait qu'il s'agit d'un message codé pour planifier l'assassinat d'un diplomate, le Dr Heinrich Bernhardt, partisan d'une réunification allemande qui ne plaît pas à tout le monde. L'attentat doit avoir lieu dans un train en partance pour Francfort, où le hasard à réuni des personnages de nationalités diverses : Robert Lindley, un jeune nutritionniste américain (Robert Ryan), Lucienne Mirbeau, une secrétaire française (Merle Oberon), Sterling, un professeur anglais plein d'humour (Robert Coote), Perrot, un ancien maquisard (Charles Korvin), Kirochilov, un jeune et austère lieutenant russe, et deux allemands mystérieux  : l'affable Kruger (Paul Lukas) et le taiseux Schmidt (Peter Von Zernech). Quand Bernhardt est tué dans son compartiment, on peut s'attendre à un film policier en huis clos, du genre de "Une femme disparaît" d'Hitchcock. Mais Tourneur a pour nous quelques surprises en réserve. Et arrivés à Francfort, nos héros vont découvrir que l'homme assassiné sur le train n'était pas le véritable Dr Bernhardt : ce dernier n'est autre que Kruger, qui toujours charmant et crédule, ne tarde pas à se faire enlever. Désespérée, Lucienne révèle au petit groupe qu'elle est son assistante et leur demande de lui venir en aide. Dans un Francfort en ruines, les cinq personnages (Schmidt ayant disparu) commencent une recherche difficile au terme de laquelle ils rencontreront les ennemis du docteur, un groupe de néo-nazis, et apprendront qu'un traître se dissimule peut-être parmi eux...

Ce petit film d'espionnage est étonnamment riche en trouvailles et bizarreries, caractéristiques de l'esprit français de Tourneur. Le réalisateur injecte donc beaucoup d'originalité à ce projet Hollywoodien, qui, à la veille de la Guerre Froide, s'interrogeait sur les capacités des nations à cohabiter dans la paix. Entre pessimisme et espoir, parfois un peu lourdement exprimé par les attachants Bernhardt et Lucienne, le message passe surtout dans la présentation d'un microcosme. Les personnages qui se retrouvent dans le train ne se quitteront plus et apprendront, malgré eux, à se connaître et à dépasser leur première approche. Sterling et Perrot ne se lassent pas de plaisanter Lindley, symbole du grand vainqueur de la guerre. Et Kirochilov est souvent victime des clichés de ses compagnons, auxquels il répond avec une lucidité assez surprenante dans un film américain. Ce personnage, tour à tour froid et sympathique, est sans doute le plus complexe du film, avec l'intriguant Schmidt qui fait un retour remarqué dans l'action en mourant sur la scène d'un cabaret clandestin, déguisé en clown. Mais là où les relations sarcastiques des héros sont pour beaucoup dans le charme du film, il faut aussi compter sur une atmosphère qui mêle réalisme quasi-documentaire et allures de fantastique. Pas de décor en carton-pâte pour Tourneur ! Il tourne directement dans les villes de l'action, de Paris à Berlin en passant par Francfort. Sa caméra met surtout en avant la destruction allemande qui a transformé des cités légendaires en no man's land : les immeubles en ruines, les bâtiments administratifs intacts, les marchés noir, les cabarets interdits, ne seront saisis avec autant de réalisme que par "La Scandaleuse de Berlin" de Billy Wilder. Le choix d'une voix-off insiste sur l'aspect pédagogique du film, en décrivant les décors au public. Mais elle intervient aussi directement dans l'histoire pour contredire ou commenter les choix des personnages. Quand au fantastique, il est omniprésent dans la scène du clown déjà évoquée mais surtout dans le combat de Lindley avec les kidnappeurs du professeur. Le nutritionniste a découvert leur cachette dans une brasserie délabrée. Il se retrouve prisonnier d'un tonneau de bière immense où ses ennemis tirent à vue. Plus tard, l'inventivité de Tourneur reparaît lorsque le traître, enfin démasqué, tente d'étrangler Bernhardt : ses efforts sont vus par le biais d'un miroir, alors que les jeunes premiers flirtent tranquillement.

Un mot doit être dit sur les interprètes, tous de grande qualité. Robert Ryan, qu'on a beaucoup vu en jeune homme torturé, offre ici l'image classique et efficace d'un homme ordinaire en vacances, plongé dans une aventure inattendue où il se révèle pleins de ressources. Merle Oberon est très belle et propose un accent français plutôt convaincant. Paul Lukas reprend un rôle dans la veine de celui qui lui a valu un Oscar dans "Watch on the Rhine". En pacifiste, tour à tour fataliste et sûr de lui, il est plutôt touchant, d'autant qu'on sait que ses rêves de réunifications ne trouveront pas d'accomplissement avant bien longtemps... Robert Coote, Charles Korvin et Roman Toporow constituent une interprétation secondaire solide, passant de l'humour léger à la gravité et l'amertume. Et les figurants, pour une fois, ont vraiment l'air allemands ou français.

Moins un film d'espionnage classique qu'une réflexion sur la politique, "Berlin-Express" n'en est pas pour le moins extrêmement divertissant. Les faux-semblants et les mensonges sont omniprésents. L'amitié dissimule la menace. Et malgré leur désir de paix, tous les personnages, grands ou petits, craignent et envisagent le retour de la guerre. Avec des personnages moins manichéens qu'il n'en sera coutume à Hollywood, Jacques Tourneur peut se permettre un dénouement plutôt optimiste. Certes, la grande oeuvre de Bernhardt est loin d'être gagnée d'avance, certes, Lindley et Lucienne n'auront pas vraiment eu le temps de tomber amoureux, mais on nous laisse entendre que la séparation des héros ne sera pas définitive... C'était, on le rappelle encore, avant la Guerre Froide et le Mur de Berlin.

mardi 20 septembre 2011

Les filles chez James Bond 007 (2)

Reprenons là où notre précédent épisode nous avait laissé... C'est à dire à "Opération tonnerre" (1961), roman dans lequel la séduction de James Bond est toujours aussi efficace. Sa partenaire du moment est une ravissante italienne Dominetta Vitali (Domino pour les intimes), qui sert de maîtresse au magnétique Emilio Largo sans savoir qu'il est responsable de la mort de son frère. Désoeuvrée à Nassau, Domino va partager des parties de natation avec James Bond avant d'accepter ses faveurs. Dotée d'un tempérament bien trempé, elle a l'honneur insigne d'assassiner le méchant alors que Bond lui-même voit sa chance tourner. Néanmoins dans le film de Terence Young, l'agent est entouré de trois autres jolies filles : la brune Paula, une espionne aux allures de mannequin qui finit tuée par la bande des méchants; la rousse Fiona, une complice de Largo qui refuse le sort de Pussy Galore et ne laisse pas le charme de Bond empiéter sur sa position de vilaine fille; et la blonde Patricia, séduisante infirmière qui aurait bien aimé le garder plus longtemps... Quand à Domino, elle est francisée afin de prendre les traits de Claudine Auger.


Dans "Motel 007" (1962), le rôle principal est cette fois tenu par une femme, la canadienne Vivienne Michel. Bond passe lui au second plan : il n'intervient qu'à mi-chemin du roman, plus ou moins par hasard. Et la narration étant assurée par Vivienne, ne bénéficie jamais de la focalisation interne à laquelle nous avait habitué Ian Fleming. Michel n'est décidément pas la compagne la plus inoubliable de l'agent secret : le récit de ses déboires amoureux, servi par une psychologie naïve, peine à lui donner une quelconque profondeur. Face aux gangsters qui assiègent son motel, elle n'est pas aussi téméraire que Tiffany Case ou Honey Rider et raisonne davantage. En définitive, ce bizarre roman féminin (!) apparaît plus comme le récit du fantasme d'une hôtelière que d'une aventure en règle de James Bond.
Autre changement de style dans l'opus suivant, "Au service secret de sa majesté" : certes James, parti en mission dans un sanatorium alpin, croise une vingtaine de jeunes et jolies femmes qui ne tardent pas à craquer pour lui (voir photo du film ci-dessus). Mais son coeur est ailleurs. Il vient en effet de rencontrer celle qui deviendra sa future épouse, Teresa Di Vincenzo, dite Tracy. Fille unique d'un mafieux bienveillant, Tracy marquera la vie de l'agent secret comme personne. Il la voit d'abord pour tenter de réconforter cette jeune femme dépressive et proche du suicide mais ne tardera à connaître à son égard des sentiments très profonds : "Elle possède tout ce que j'ai toujours désiré chez une femme" conclut-il à un moment du livre. Malheureusement, le mariage de James et Tracy sera bref : avide de vengeance, Blofeld organise un attentat sur la voiture des jeunes mariés. Et quelques heures à peine après la cérémonie, notre héros se retrouve veuf. Cet épilogue étonnamment mélancolique dans la carrière littéraire de Fleming est le prélude d'une période de dépression pour James Bond.

En effet, au début d'"On ne vit que deux fois", James Bond est une épave. Alcoolique, cynique, il traîne son désoeuvrement entre les murs de Regent's Park et semble avoir, pour une fois, renoncé à la compagnie féminine. Il faudra l'ordre impérieux de "M" et une mission tarabiscotée au Japon pour le remettre sur les rails. En compagnie de son allié japonais Tiger, Bond prend du bon temps dans les maisons closes et commence à retrouver sa joie de vivre. Réalisant qu'il a peut-être l'opportunité de venger le meurtre de sa femme en tuant Blofeld, notre agent atterrit dans un petit port de pêche où il tombe sous le charme d'une jeune femme des environs, Kissy Suzuki. Souple et sportive, elle lui est d'une grande aide alors qu'il se fait passer pour un pêcheur japonais et ne tarde pas à éprouver des sentiments en retour. Blofeld mort, la relation de Bond et Kissy prend un tour inattendu : le héros est sorti vivant de sa mission mais souffre d'amnésie totale. Kissy en profite pour lui faire croire qu'il est un gars du pays et s'installe avec lui. Pendant plusieurs mois, James mène une vie tranquille tandis que ses collègues du MI6 le croit mort. Lorsque les souvenirs lui reviennent, il décide de partir pour l'U.R.S.S. (se croyant alors un espion du KGB) et la futée Kissy abandonne la bataille. Un problème demeure : l'enfant dont Kissy est enceinte lors du départ de son compagnon et auquel ni Bond ni Fleming ne feront plus allusion. Le film simplifie grandement les choses en abandonnant l'option d'un James Bond amnésique et en divisant le personnage féminin en deux.

La dernière aventure de Bond, "L'homme au pistolet d'or", n'est pas sa plus excitante sur le point de vue sentimental. D'ailleurs, tout l'univers de l'agent secret semble s'effriter : le méchant Scaramanga est un condensé peu convaincant de ses anciens adversaires, "M" est moins tolérant et il n'y pas de cargaisons de jolies filles au rendez-vous. Seule consolation : l'ex-secrétaire de James, la blonde et gaffeuse Mary Goodnight. Cette mignonne jeune femme n'atteint pas les sommets de bravoure et de séduction de celles qui l'ont précédée. Elle n'apparaît dans l'intrigue que de façon fragmentaire et joue surtout un rôle comique. Néanmoins, c'est sur leur étreinte mutuelle, amourette sans prétention, que se clôt la carrière de notre Don Juan de l'espionnage. La mort de Fleming après ce roman ne saura mettre fin pour autant à la vie de James Bond. Il y aura beaucoup de films et de livres pour la perpétuer. La dernière oeuvre en date, "Carte blanche" de Jeffery Deaver reste d'ailleurs dans la lignée du père de Bond : et l'épilogue rappelle que notre agent, malgré son désir pour une compagne fidèle, doit se résigner à ne jamais en trouver une. Le devoir l'appelle, celui de sauver le monde et de rester disponible pour des James Bond Girls sans cesse renouvelées, fantasmes incessants d'un homme qui ne vieillira jamais.

dimanche 18 septembre 2011

Les filles chez James Bond 007 (1)

Le petit monde de James Bond est composé d'éléments immuables : il y a "M", Miss Moneypenny, des méchants féroces, des gadgets ingénieux...et aussi toute une galerie de jeunes et jolies filles, parfois plusieurs par aventures, qui ne manquent pas de tomber sous le charme de notre agent secret glamour favori. Aujourd'hui je propose d'examiner les caractéristiques et les évolutions de la James Bond Girl, un concept qui peut paraître quelque peu macho à l'ère du post-féminisme mais qui n'a pas encore perdu de sa popularité.            
                      

Commençons par le commencement : donc par la toute première James Bond Girl de l'Histoire (même si James a dû faire des conquêtes avant), Vesper Lynd dans "Casino Royale" (1953). Vesper est un peu un cas à part. Bien sûr, elle est aussi jeune et séduisante que toutes celles qui vont suivre sa route. Mais elle réagit d'abord aux avances de son collègue avec ambiguïté, tour à tour chaleureuse et froide. Déconcerté, Bond le sera encore plus en assistant à son comportement empoté lorsqu'elle est kidnappée par Le Chiffre, sinistre businessman qui l'utilise comme appât pour attirer l'espion. Néanmoins, la relation des deux jeunes gens va s'approfondir de manière inattendue, avec les visites tendres et attentionnées de la jeune femme à son amant hospitalisé. La dernière partie du roman se focalise entièrement sur eux et leur idylle dans un hôtel de bord de mer, au risque de faire oublier qu'il s'agit d'une histoire d'espionnage. James Bond s'en rappellera trop tard, lorsqu'il trouve Vesper dévorée par un secret qu'elle se refuse à lui révéler : alors qu'il est prêt à l'épouser, Bond la trouve morte. Elle s'est tuée en lui laissant une lettre qui explique tout. Elle est un agent double qui a arrangé son enlèvement avec Le Chiffre. Désespéré, l'espion retrouve tout de même le contrôle de lui-même et la qualifie de "garce" à ses employeurs. Mais Bond est moins dur qu'il ne le prétend. Des années plus tard dans "Les diamants sont éternels", il se sent tout drôle lorsque Tiffany Case met le disque de "La vie en rose", chanson qu'il écoutait jadis avec Vesper...

Mais la vie doit continuer. Et la seconde girl en date est plus exotique que la première. Il s'agit de Solitaire, fille de planteurs français ruinés qui devient prostituée à Haïti et voyante personnelle de Mr Big, l'adversaire de Bond dans "Vivre et laisser mourir". Bond tombe vite sous le charme de cette jeune fille élégante mais sensuelle avec laquelle il partagera, sa mission terminée, des vacances passionnées.
Solitaire tombe tout de suite folle de lui, contrairement à Gala Brand, héroïne plus prudente de  "Moonraker".  Car cette jeune femme qui travaille à la base où Bond doit enquêter est fiancée et le qualifie d'abord de "jeune fat comme il y en a tellement dans les Services Secrets". Il gagne pourtant rapidement ses faveurs tandis qu'elle lui dévoile un corps superbe. Cela dit, Gala est la seule amie de James Bond à le quitter alors qu'il aimerait bien qu'elle reste un peu. Le roman se termine sur une séparation douce-amère. Bond se console rapidement avec Tiffany Case, jeune femme qui travaille pour les gangsters qui font la loi dans "Les diamants sont éternels". Légèrement plus âgée que ses consoeurs, Tiffany a aussi davantage vécue et elle donne tout de suite à Bond l'impression d'une femme décidée, mystérieuse et secrètement blessée. Leur affaire durera jusqu'au début de "Bons baisers de Russie" où James avoue à "M" que leur passion a perdu de son allant et que cette "belle fille mais un peu névrosée" le quitte d'un commun accord pour épouser un major américain. Pas grave ! Car "M" attend de son agent de séduire la jeune espionne russe Tatiana, qui a un profil à la Greta Garbo et peut-être un Lektor pour les Services anglais. Tatiana est une des plus attachantes James Bond Girl de tous les temps. Fleming nous fait partager un peu de sa vie quotidienne à Moscou, de ses espoirs professionnels et ses histoires sentimentales. Manipulée par la repoussante Rosa Klebb du SMERSH, la jeune fille est obligée de tendre un piège à Bond mais sans se rendre compte de la gravité de celui-ci. Elle vit sur son petit nuage jusqu'à ce que les choses s'enveniment. Dans l'adaptation cinématographique, c'est pourtant elle qui tue Klebb alors que James Bond était très mal en point.

Si "Les diamants sont éternels", ce n'est décidément pas le cas des aventures de Bond. Et le sort de Tatiana, son aventure terminée, n'est pas précisé par son ancien amant. A peine sorti de l'hôpital, suite aux blessures infligées par Klebb, James se retrouve plongé dans une mission qu'il considère comme une mise au placard : "Dr No". Il retourne pour l'occasion à la Jamaïque, où le souvenir de Solitaire l'effleure un temps, avant qu'il ne fasse la connaissance de Honeychile "Honey" Rider. Jeune femme naturelle et rieuse dans la lignée de Tatiana, Honey est sans conteste la plus célèbre conquête de Bond : son apparition hors des vagues en bikini a pris pour tous l'image mythique de la jeune Ursula Andress, qui l'interprète dans le film de Terence Young. Honey a été violentée jadis par un homme qui a abusé de sa pauvreté. Elle l'a tué en mettant une mante religieuse dans son lit. Bond ne manquera pas d'être déconcerté par cette héroïne ingénue et maligne, qui lui saute dessus au sortir de la douche et connaît les animaux de Crab Key beaucoup mieux que le diabolique Dr No. Ils connaissent une passion brève mais ardente et Honey rejoint le rang de Gala, Solitaire et Tiffany : elle quitte le sensuel agent secret pour un mari plus réaliste.

"Goldfinger" est une étape particulièrement bizarre dans la vie sentimentale de James Bond. Il y rencontre trois filles, aussi ravissantes les unes que les autres mais qui connaîtront des destins bien compliqués. La première, Jill Masterson, est une petite chose ravissante et naturelle. Elle est très vite séduite par l'agent qui enquête sur son employeur Goldfinger et passe avec lui une nuit dans un train qui débouche sur une séparation amicale. Mais le mal est fait. Pour se venger, Goldfinger la tue en recouvrant son corps de peinture dorée, ce qui entraîne, d'après Fleming, un étouffement respiratoire. La seconde, Tilly Masterson, n'est autre que la soeur de Jill. Elle aussi est jeune et belle mais Bond ne l'intéresse pas. Elle est décidée surtout à venger la mort de Jill et, au cours de leurs aventures, l'espion découvre qu'elle est lesbienne. Avec son machisme habituel, James Bond la qualifie de "d'une de ces filles qui souffrent d'un dérèglement hormonal". Faut-il en conclure que seules les homosexuelles peuvent résister au charme de notre héros ? Même pas ! Car il attire vite l'attention de la lesbienne Pussy Galore, jeune femme d'une trentaine d'années, ancienne trapéziste devenue chef d'une organisation criminelle. Pussy est le seul espoir de Bond pour vaincre les plans machiavéliques de Goldfinger, décidé à envahir Fort Knox. Elle ne le décevra pas, ce qui donnera lieu à l'happy end le plus abrupt et quasiment grotesque de toute la carrière de Fleming. Le revirement de l'héroïne est d'autant plus décevant qu'elle constituait au début l'image d'une forte femme assez intrigante. Elle est interprétée à l'écran par Honor Blackman, une vétérante de la série "Chapeaux melons et bottes de cuir".

La suite au prochain numéro.




mercredi 14 septembre 2011

Notre agent à la Havane (1959)

Après mon absence de dix jours sur le blog, je reprends aujourd'hui le clavier (à défaut de la plume) afin d'attirer votre attention sur un petit film assez méconnu de Carol Reed : "Notre agent à la Havane". Adapté d'une oeuvre du romancier Graham Greene (tel le plus célèbre "Troisième Homme"), ce film raconte l'histoire d'un espion mythomane qui abuse de la confiance des Services Secrets Britanniques sur les agissements soviétiques à la Havane. Il aurait pu facilement tourner au drame. Or, c'est une comédie. Parce que l'espion en question est un modeste vendeur d'aspirateurs, dépassé par les exigences financières de sa fille adolescente et que ceux qui l'engagent ne sont pas des gens beaucoup plus sérieux...


Commençons par le commencement : James Wormold (Alec Guinness) est un veuf anglais encore jeune qui coule une vie paisible, quoique un peu excentrique, à la Havane où il vend des aspirateurs. Sa fille Milly (Jo Morrow), une adolescente aussi pieuse que délurée lui donne bien du souci, autant par ses demandes extravagantes que par les prétendants qu'elle attire, à l'exemple du pince-sans-rire capitaine Segura (Ernie Kovacs) qui fait la loi dans la ville. Contacté par un agent anglais, Hawthorne (Noel Coward), Wormold se retrouve soudainement dans la position d'un informateur pour le MI6. Le problème est qu'il ne parvient pas à engager d'espions ou à dénicher le moindre secret. Afin de continuer à recevoir son salaire, il se décide à inventer les intrigues que tout le monde est si anxieux de le voir découvrir. James se retrouve bientôt à la tête d'un réseau imaginaire et attire l'attention de Londres sur des constructions suspectes dans les montagnes, qui sont en réalité des dessins obtenus en copiant le plan d'un aspirateur. Le MI6 dépêche une séduisante secrétaire, Beatrice Severn (Maureen O'Hara), pour lui venir en aide. Notre agent à la Havane ne va tarder à se trouver dépassé par les événements. D'autant que les soviétiques, croyant eux aussi qu'il a trouvé quelque chose, veulent sa mort...

Graham Greene avait rangé son roman dans la catégorie des "divertissements" à l'opposé du "Facteur humain"(1978) de facture plus sérieuse. Cependant, on peut se rallier à l'opinion de John le Carré qui qualifie ce classement d'un peu facile. En effet, si le ton général de ce livre et de son adaptation au cinéma est indéniablement comique, les thèmes qu'ils soulèvent n'en sont pas moins graves et portent, entre deux rires, à la réflexion. Ce que montre "Notre agent à la Havane", c'est le ridicule des engrenages de l'espionnage, la crédulité et la vanité de ses participants. Les actes de Wormold reçoivent la confiance et les félicitations de ses supérieurs. Plus il ment, plus on le croit. Or, ses inventions sont surtout une vision déformée et idéalisée de la réalité (tel son recrutement imaginaire d'agents), une tentative d'élever la vie au rang de la fiction car c'est précisément ce que lui demande le Service. Le héros reste pourtant sympathique jusqu'au bout, par son dévouement envers sa fille et la secrétaire dont il ne tarde pas à tomber amoureux. Son seul but est de gagner l'argent que le MI6 jette par les fenêtres avec autant de bonne volonté. Il est entouré par une galerie d'excentriques : son meilleur ami est un docteur allemand, Hasselbacher (Burl Ives, surprenant), fasciné par des expériences bizarres; les espions anglais sont des étourdis qui se conduisent comme dans une histoire de James Bond : le chef, "C" (Ralph Richardson), est incapable de lire une carte. Cependant, la gravité et l'ambiguïté sont bien présentes dans cette comédie loufoque. L'histoire de Wormold entraîne des morts bien réelles, y compris celle de son meilleur ami, et il doit se défendre en tuant un ennemi qui n'est même pas vraiment antipathique, Hubert Carter. Temps de quitter le navire ! James quitte la Havane en compagnie de Milly et de Beatrice. Le happy end qu'il reçoit à Londres est plus ironique que naïf : les autorités du Service ont réalisé qu'il était plus dangereux d'avouer leur propre crédulité que de laisser les mensonges de leur ex-agent impunis. Wormold se retrouve donc libre, payé et décoré pour des services qu'il n'a jamais rendus et qu'il accepte avec joie. 

L'un des aspects les plus attachants de ce film atypique réside dans son ambiance déjantée, tour à tour légère et noire mais toujours très rythmée. Invité à un banquet des représentants d'aspirateurs à la Havane, Wormold doit ainsi faire un discours tout en étant menacé de mort, car il sait que ses ennemis ont empoisonné son plat. Plus tard, il se débarrasse du capitaine Segura en le soûlant au terme d'une partie d'échecs où les pions font figure de mini bouteilles d'alcool. Mais il y a aussi la performance excellente d'Alec Guinness en homme affable et distrait qui devient un espion menteur sans jamais perdre sa bonne humeur et son esprit pratique. Il est bien entouré par la jolie Maureen O'Hara, le très bon Ernie Kovacs et le toujours réjouissant Noel Coward. Milly, jouée par Jo Morrow, avait été critiquée avec fureur par Graham Greene : elle est pourtant très amusante. Donc un très bon film à découvrir, collaboration épatante de Greene et Reed, et une des meilleurs productions des studios Ealing. John le Carré en reprit l'idée originale pour son roman "Le tailleur de Panama" où un tailleur raconte des histoires dangereuses au MI6. Mais l'humour de la première partie disparaît pour le drame et on ne retrouve pas la légèreté ironique dont savait faire preuve Greene. Dans une littérature qui a su si souvent montrer les faux semblants et les bizarreries du monde gris de l'espionnage, on aurait bien besoin d'autres agents à la Havane.

vendredi 2 septembre 2011

Les traîtres - du réel au roman

Parmi les thèmes les plus exploités de la fiction d'espionnage, la trahison occupe toujours une place de choix. La faute en revient peut-être à ces cinq autorités du Service Secret Britannique, démasqués dans les années 60-70 pour être en réalité des agents doubles soviétiques : Kim Philby, Donald Maclean, Guy Burgess, Anthony Blunt et John Cairncross. Surnommés les "Cinq de Cambridge" à cause de leur recrutement dans les années 30 au sein de cette célèbre université, ils représentent une époque de méfiance et de désillusion : comment des échelons pareils du système britannique ont-ils pu décider de passer à l'Est ? La littérature et le cinéma n'ont pas cessé de se le demander...
                          

                      

Il est d'abord intéressant de signaler que dans le "monde" de Ian Fleming, les traîtres britanniques ou américains sont une espèce inconnue. Jamais il ne viendrait à l'idée de Bond ou de ses collègues de changer de camp ou d'en servir deux à la fois. Leur loyauté est inébranlable, même quand ils font face à la mort - sauf cela dit dans le cas extrême de "On ne vit que deux fois" où, comme je l'ai dit dans mon précédent billet, James est récupéré par le KGB. Mais il est alors dans un état critique, amnésique et manipulé. En revanche, de l'autre côté du rideau de fer, il n'est pas rare de rencontrer des défections, comme celle de Tatiana dans "Bons Baisers de Russie". Faut-il croire pour autant que, dans la période pré-Philby, une trahison au sein du MI6 était inimaginable ? Chez Fleming, peut-être. Mais Alfred Hitchcock, dans ses thrillers d'espionnage, en propose déjà plusieurs. Il y a les "Quatre de l'espionnage" (1936) adapté des nouvelles de Somerset Maugham qui met en scène un traître potentiel, assassiné par le MI6 et, après que son innocence ait éclaté au grand jour, le vrai traître de l'histoire : un anglais charmant et cynique. "Correspondant 17" (1940), dont l'action prend place au tout début de la guerre, présente un traître plus complexe et tragique : Stephen Fisher, directeur d'une association pacifiste, en vérité allemand immigré recruté des années auparavant. Son suicide final tranche avec le ton plutôt comique de ce petit chef-d'oeuvre du maître. Enfin, Mankiewicz dans "L'affaire Cicéron" (1952) adapte l'histoire vraie d'un butler albanais, qui, durant la Seconde Guerre Mondiale, dérobait les papiers de son maître, haut diplomate anglais, pour les refiler aux allemands. Le traître est alors dépourvu de scrupule mais non de motivations : il sert le camp qui le paie et non une idéologie précise.

Cependant, Philby a eu une empreinte indéniable sur la culture d'espionnage. Le portrait romanesque le plus célèbre et intrigant qui en a été tiré est signé John Le Carré - il s'agit de Bill Haydon dans le roman "La Taupe" (1974). Créant au passage le terme de "taupe" qui sera réutilisé par les Services Secrets eux-mêmes pour désigner un traître, Le Carré dessine une personnalité insaisissable et charismatique, celle d'un gentleman anglais pur jus, séduisant et séducteur. Pourtant, Bill, ce pilier du MI6 a trahi. Et non seulement son pays et son métier mais aussi son meilleur ami et collègue, Jim Prideaux. Pourquoi ? Dans l'épilogue du roman, le traître expose ses raisons au héros George Smiley, qui l'a démasqué. Il a été recruté, comme Philby, par les Services Soviétiques alors qu'il était à l'université. C'est sa déception devant la situation médiocre de l'Angleterre d'après-guerre et sa haine d'une Amérique matérialiste qui l'ont conduit peu à peu à une trahison de plus en plus totale. Contrairement à son modèle historique, Haydon ne passe pas à l'Est comme il est assassiné par Prideaux. Mais, les points communs entre les deux personnages demeurent frappants : John Le Carré y exprime son mépris teinté de compréhension à l'égard du traître, et sa lucidité vis à vis du mystère qui plane toujours sur les motifs de Philby/Haydon : Smiley compare ainsi la psychologie de son ancien collègue à une suite de poupées russes dont il n'aura jamais réussi à voir la dernière. Dans l'univers romanesque de Le Carré, la trahison de Bill est vue comme un scandale, un pas de plus dans l'effondrement des valeurs du Service. Le personnage est interprété dans la série de la BBC par le vétéran Ian Richardson (voir photo) et, dans le film qui sort cet automne, par Colin Firth.

Autre visage "philbyen" : Maurice Castle dans le roman de Graham Greene, "Le facteur humain" (1978). Greene a dénié s'être inspiré de Kim Philby pour son roman mais sa fascination pour le personnage (avec lequel il a entretenu une correspondance) autorise à imaginer une certaine influence : Castle est un bureaucrate entre deux âges, travaillant au MI6 depuis des années. Son caractère tranquille et introvertie, sa réputation scrupuleuse abusent tous ceux qui pourraient le considérer comme un traître. Pourtant, il collabore avec l'U.R.S.S. depuis qu'un Service Communiste a aidé sa jeune épouse à quitter l'Afrique. Maurice Castle est présenté comme un homme beaucoup plus sympathique que Bill Haydon. Il est moins loyal à son Service qu'à la femme qu'il aime et à son enfant qu'il a élevé comme son propre fils. Graham Greene fait d'ailleurs du MI6 un portrait qui fait froid dans le dos : le chef, "C", a ses côtés sympathiques mais le docteur mandaté de tuer le traître (qui d'ailleurs se trompe d'homme) exécute son travail sans aucun état d'âme. A la fin du roman, Maurice a pris refuge en U.R.S.S. où il espère que sa famille le rejoindra. Devant l'indignation de sa belle-mère, sa jeune épouse défend sa position et son intégrité morale.

Troisième visage : Magnus Pym, le héros d'"Un pur espion"(1986), autre roman de John Le Carré. Le traître est cette fois moins charmant et plus fragile qu'Haydon. Sa position est d'autant plus ambivalente que Le Carré lui attribue une histoire qui ressemble beaucoup à la sienne : même enfance chamboulée et solitaire, même père flamboyant et mythomane, même passion d'adolescence pour la culture germaniste et la Suisse... Dans un documentaire, Le Carré reconnaît que lui et Philby (qui a détruit sa couverture avec celle de nombreux autres agents lorsque l'auteur travaillait pour les Services) avaient en commun un père écrasant et impossible. Il ajoute que si son caractère avait été différent il aurait pu, comme lui, devenir un traître. Magnus Pym est le résultat de ces motivations complexes. Diplomate brillant, espion depuis des années, il disparaît peu après la mort de son père, Rick, pour se réfugier dans une petite pension de famille où il rédige ses mémoires afin de tout expliquer à ceux qui l'ont si mal connu... Si Pym devient un agent double (cette fois pour la Tchécoslovaquie) c'est à cause d'une amitié profonde avec Axel, son homologue tchèque. Lui qui s'était toujours senti rejeté et exclu se jette à corps perdu dans les deux causes qui nécessitent ses talents : il est un agent double, un pur espion parce que tout à fait malléable par celui qui l'emploie. Mais sa fin est aussi tragique que celle d'Haydon : il se suicide, incapable de faire la paix avec son passé.

Le mot de la fin revient à Le Carré, cette fois dans le roman "Les gens de Smiley"(1979) : "Messieurs, je vous ai tout les deux bien servis, dit le parfait agent double au crépuscule de sa vie. Et il le dit avec orgueil, aussi, songea Smiley, qui en avait connu un bon nombre."

jeudi 1 septembre 2011

James Bond et "M"

La mythologie des James Bond déborde de personnages récurrents, jouant un rôle pivot dans la vie de notre agent secret irréaliste favori. Parmi ceux-ci, on pense tout de suite à "M", le chef taciturne du MI6 : à la fois modèle, mentor et, parfois, antagoniste de James. Le sujet du jour sera d'examiner un peu les rapports entre ces deux personnages, plus complexes qu'ils n'y paraissent au premier abord...



Pour commencer, quelques mots sur "M" lui-même. De son vrai nom Miles Messervy, il s'agit d'un amiral à la retraite affilié à la fin de sa carrière militaire à la tête de ce que James Bond nomme, selon le code en vigueur, l'Universal Export. Aucun de ses proches n'est au courant de sa position au centre des Services Secret. D'ailleurs, il n'a pas vraiment de vie privée et vit seul dans un château à la campagne (où James Bond dans "Au Service Secret de Sa Majesté" passe un des Noël les plus sinistres de sa vie). "M" est un personnage décidément mystérieux. Avec lui, Ian Fleming crée le type du maître espion taciturne, quasi anonyme ("C" chez Graham Greene en constitue une variation plutôt cocasse). Cela dit, c'est un homme d'une grande autorité, farouchement patriote et d'une pudeur victorienne. Ses collègues, Bill Tanner et la secrétaire, Miss Moneypenny, sont souvent les victimes de son caractère haut en couleurs même si cette dernière affirme qu'il dissimule un coeur d'or. 

"M" n'apparaît pas à proprement parler dans la première aventure de Bond, "Casino Royale". Il est plus un prologue qu'un personnage. En revanche, dès "Vivre et laisser mourir", son tempérament se dessine. La confrontation entre le maître et son agent devient un rituel obligé de chacune des aventures. Au fil de celles-ci, "M" projette surtout une image d'autorité omnisciente vis-à-vis de Bond. Pour cet agent orphelin et obéissant, il est à la fois le symbole du père et de la patrie que le "fils spirituel" respecte et admire tout en se moquant gentiment de lui. "M", de son côté, ne laisse jamais trahir sa (possible ?) affection à l'égard de 007. Il ne se lasse pas de désapprouver son imprudence (voir la scène du beretta dans "James Bond contre Docteur No") et de déplorer ses nombreuses aventures féminines : même si dans "Bons Baisers de Russie" il demande explicitement à son agent de "jouer le gigolo pour l'Angleterre".  Ses remerciements sont du genre lapidaire mais ils n'en ont que plus de valeur pour les heureux élus qui les reçoivent. C'est dans "Moonraker" que leurs relations sont les plus harmonieuses : "M" y invite James à son Club très select, les Blades, où ils partagent un repas gastronomique avant d'essayer de démasquer l'homme d'affaires Hugo Drax. A la fin de l'aventure, "M" fait envoyer un nouveau beretta à son agent accompagné d'un mot écrit à l'encre verte (sa signature habituelle) "Vous pourriez en avoir besoin". Pour le meilleur et pour le pire, James Bond et "M" sont indissociables et complémentaires. Le premier obéit au second même quand il n'en a aucune envie mais ne se prive pas de lui casser du sucre sur le dos et d'envisager de démissionner. Comme il le fait observer à une de ses conquêtes, Tiffany Case dans "Les Diamants sont éternels", James n'envisage pas le mariage parce qu'il est, en quelque sorte, marié à "M".

A partir de "James Bond contre Docteur No", les rapports entre l'agent secret et son patron commencent à tourner vinaigre. "M" est ulcéré par l'obstination de James à utiliser le beretta (qu'il lui a pourtant offert et qu'il juge maintenant inefficace) et, en retour, 007 considère la mission qu'on lui a assigné à la Jamaïque comme des vacances forcées. Dans "Goldfinger", "M" sera furieux contre son agent pour avoir eu des relations imprudentes avec Jill, la petite amie d'Auric Goldfinger. Et dans "Opération Tonnerre", il l'enverra quasiment de force dans une maison spécialisée pour se refaire une santé, quelque peu endommagée par l'alcool, le tabac et les aventures. Néanmoins, leur véritable rupture ne deviendra explicite que dans "On ne vit que deux fois". Inconsolable après la mort de son épouse Tracy, quelques jours à peine après leur mariage, James Bond est à la dérive et ne se satisfait plus de son travail au sein du MI6. Pour la première fois, "M" n'est pas vraiment capable de secouer le jeune homme et de le remettre dans le droit chemin. En désespoir de cause, il l'envoie au Japon où James Bond fera face à une des missions les plus bizarres de sa carrière. La collaboration "M"-Bond connaîtra un dénouement inattendu : devenu amnésique après le Japon, James erre en U.R.S.S. où il est reconnu et récupéré par le KGB. Après avoir subi un lavage de cerveau, on l'envoie à Londres dans le but de tuer "M" ("L'homme au pistolet d'or"). Avec son flegme habituel, "M" évite l'agression mais sa compassion pour celui qui était autrefois son meilleur agent ne l'empêche pas de le déclarer irrécupérable. Malgré l'indignation de Bill Tanner qui le traite de "vieux coeur de pierre", "M" envoie Bond dans une mission-suicide contre l'aventurier gangster Scaramanga. L'idée est que Bond réussisse où tant d'autres ont échoués ou bien qu'il termine sa carrière par une mort glorieuse. Fleming laisse entendre une certaine déception de la part de "M" : son protégé et bras droit n'est plus qu'une loque. Il veut lui faire retrouver sa dignité même si ça signifie la mort.

L'happy end est au programme de cette dernière et décousue aventure de James Bond. Bien sûr, l'agent réussira avec succès à éliminer son nouvel adversaire et il retrouvera au passage l'enthousiasme et la vigueur dont son veuvage l'avait diminué. Blessé mais bien vivant, James reçoit des preuves concrètes de sa réconciliation avec "M" et le Service : des félicitations plus chaleureuses que d'habitude et le titre de chevalier. James Bond feint l'indifférence mais son émotion est évidente : "Pourquoi doit-il toujours signer "Messager" au lieu de "M" ?...Je crois finalement qu'il est aussi romantique que tous les crétins qui ont quelque chose à voir, de loin ou de près avec le Service." Aussi romantique que Bond lui-même alors. Ou peut-être que Fleming.