dimanche 28 août 2011

Agatha Christie et l'Espionnage

Celle qu'on a surnommé la "grande dame du crime" est à juste titre davantage identifiée au domaine de la littérature policière qu'à celui des romans d'espionnage. Et pourtant, Agatha Christie, l'auteur de "Dix petits nègres", a mis, à quatre reprises au moins dans sa carrière, sa plume au service d'histoires d'agent secret. Penchons nous un peu sur ce visage méconnu d'Agatha...



La première fois que l'auteur passe la barrière du genre, c'est en compagnie de deux de ses héros les plus célèbres : Tommy et Tuppence Beresford. Ce couple excentrique et fantasque de détectives amateurs était mis en vedette de certains de ses premiers romans comme "L'homme au complet marron". Christie sonne leurs retrouvailles en plein milieu de la Seconde Guerre Mondiale. Les héros ont maintenant atteint la quarantaine et voient leur fils partir au front (comme le jeune époux de l'écrivain). "N ou M ?" voit Tommy Beresford refusé par le service de mobilisation et décidé cependant à ne pas subir passivement le conflit. Il se tourne alors vers le Service d'Espionnage qui l'envoie en mission secrète dans une pension de famille paisible à la campagne, dans le but de dénicher un espion étranger... Il ne se doute pas que Tuppence, déguisée, est sur ses talons. Agatha Christie compose un roman amusant et plutôt pittoresque. L'essentiel de l'action se passe à la pension de famille et est dépourvue de beaucoup de rebondissements. C'est un intermédiaire entre ses classiques whodunit et la trilogie intrigante que nous allons maintenant étudier...

On parle de trilogie comme François Rivière même si, en fait, les romans en question ne mettent pas du tout en scène les mêmes personnages. Il s'agit d'oeuvres assez bizarres, rejetant le réalisme mais pourvu néanmoins d'une certaine ironie qui en constitue les meilleurs passages. Agatha Christie n'était pas la "reine" de l'espionnage et elle n'a pas su créer un univers aussi marquant qu'un certain Ian Fleming. L'ensemble force pourtant la curiosité : "Rendez-vous à Bagdad" (1951) est un thriller agréable et plutôt tradi, qui évoque un peu les films d'Alfred Hitchcock. L'action est rythmé, les personnages jeunes et dynamiques et le décor, exotique à souhait. "Destination inconnue" (1954) commence sur les chapeaux de roue par une idée géniale : l'héroïne, jeune femme dépressive est convaincue par un espion de renoncer au suicide pour travailler pour lui. Elle devra prendre la place de l'épouse défunte d'un scientifique (peut-être ?) enlevé par les soviétiques.... Hélas ! La psychologie des personnages est vite sacrifiée, l'identité des "méchants" de l'histoire rendue de plus en plus confuse au profit de séquences angoissantes dans une base coupée du monde. Le chef de la base, leader charismatique et envoûtant fait dans le grand guignol et il est aussi peu convaincant que le happy end final.

"Passager pour Francfort" (1970) écrit seize ans plus tard manifeste du même mélange déconcertant d'ironie dérisoire et de naïveté. Il s'agit ici d'un lord anglais attiré malgré lui dans une intrigue d'espionnage, mais aussi d'une uchronie qui bascule quasiment dans la science-fiction : on apprend qu'Hitler ne serait pas mort à la fin de la Seconde Guerre, qu'une machine permet de diriger les cerveaux et que les jeunes de tous pays sont excités à la révolte et à l'avènement de ce qui ressemble à une nouvelle dictature fasciste... L'ensemble ne manque pas de piquant, une fois qu'on admet le second degré. Mais il devient de plus en plus difficile à suivre jusqu'à un épilogue en queue de poisson.

Étonnante Agatha ! Son apport à la littérature de l'espionnage mérite bien d'être redécouvert. Dommage qu'elle n'y ait pas fourni la verve et la profondeur cynique dont sont familiers les lecteurs des "Dix petits nègres" et du "Meurtre de Roger Ackroyd". Peut-être considérait-elle comme mineure et purement divertissante cette catégorie de son oeuvre ? Pourtant, Hercule Poirot en agent de la Couronne n'aurait pas manqué de séduire.

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