mercredi 31 août 2011

Mata Hari - mythe et réalité

Le 15 Août 1917, à Vincennes, une danseuse de quarante et un ans est fusillée par les forces de l'Ordre françaises. Son nom : Margaretha Geertruida Zelle, mais elle est plus connue sous le surnom de Mata Hari. Son crime : des activités d'espionnage au profit des allemands comme des français. Son destin : devenir un mythe, celui de la séduction au service des Services Secrets, un mythe des plus romanesques, condamné d'ailleurs à s'écarter de plus en plus de ses sources réelles. Il apparaît, en effet, que Mata Hari, loin d'être une espionne géniale, n'a transmis que très peu d'informations valables à ses divers employeurs. En revanche, ses talents de danseuse exotique et son charme l'ont prédestinée à une carrière durable dans la littérature et le cinéma. Examinons un peu ce phénomène...



C'est en 1931 qu'a lieu la première adaptation des aventures de Mata Hari sur grand écran : "Mata Hari" de George Fitzmaurice. Le casting comporte Lionel Barrymore, Ramon Novarro et, dans le rôle de la célèbre espionne, rien de moins que Greta Garbo ! Fiction oblige, la Mata Hari de ce film n'a pas grand-chose à voir avec la danseuse fusillée à Vincennes : rajeunie, elle devient un agent secret très efficace (les renseignements qu'elle extorque de ses amants, joués par Barrymore et Novarro, sont clamés d'importance vitale) et, aussi, une femme sympathique, touchée par la grâce peu avant sa mort. La performance de Garbo est le vrai grand intérêt de ce film mélodramatique et peu convaincant et elle montre à quel point la Divine était capable de transcender les scénarios les plus hasardeux. L'accent mexicain de Novarro et son âge avancé défient quiconque essayerait de croire à son personnage de jeune russe naïf. Celui de Mata Hari n'est pas beaucoup plus intéressant d'un point de vue psychologique mais c'est Garbo qui le joue et elle est, comme toujours, fascinante - à noter que la séquence de "danse exotique" dans le cabaret fut bien abrégée par la censure.

La même année, un autre film sort en salles qui raconte aussi l'histoire tragique d'une séduisante espionne : "Agent X27" de Josef Sternberg. La parenté de Mata Hari n'est jamais mentionnée par le scénario mais elle apparaît néanmoins évidente : certes, X27 est un agent loyale à son Autriche natale et non un agent double, certes, elle est présentée sous une lumière plus aimable et plus humaine que Mata Hari dans le film précédent. Il y a cependant toujours l'idée de servir les Services avec ses charmes (ce que lui reproche d'ailleurs amèrement le personnage de Victor McLaglen) et la fusillade finale : cette fois parce que la jolie espionne a laissé échapper l'adversaire par amour. De plus, le choix de Marlene Dietrich dans le rôle principal accentue encore l'influence du film précédent. Par moments aussi bizarre et difficile à croire que le "Mata Hari" de Greta Garbo, "Agent X27" est néanmoins une oeuvre beaucoup plus intrigante et intéressante. On y reconnaît la "patte" de Sternberg, son goût pour les plans audacieux, son inventivité, son ironie qui semble parfois teintée d'autodérision. McLaglen n'est pas plus russe que Novarro mais sa brutalité gouailleuse ne détonne pas tellement dans un mélange aussi étonnant. Scènes à remarquer : le recrutement atypique de l'espionne, alors une jeune et fataliste prostituée; le déguisement de Dietrich en une paysanne un peu sotte lors d'une mission en Russie; le dénouement où sous les cris de révolte d'un jeune officier, incapable de faire fusiller une femme, Marlene rectifie nonchalamment son rouge à lèvres... Ce serait donc étrangement dans un film bien éloigné des faits de base que l'histoire de Mata Hari trouverait son adaptation la plus satisfaisante, d'un point de vue bien sûr purement romanesque.

Derniers feux : "Mata Hari, agent H21" de Jean-Louis Richard en 1964. Cette nouvelle moulure qui fait explicitement allusion aux deux films précédents par son titre, reprend les faits les plus connus de la vie de l'espionne avec une certaine fidélité à la réalité. Mata Hari est cette fois jouée par Jeanne Moreau et l'ambiance est plutôt drôle et mélancolique, une sorte d'hommage ironique au mythe. Les dialogues sont signés François Truffaut. 
En 1967, "Casino Royale", la parodie délirante de James Bond réalisée par John Huston, convoque une dernière fois Mata sur le grand écran. Cette fois, c'est pour avoir été le grand amour de Bond durant la Première Guerre Mondiale (!) avant qu'il ne la conduise au champ d'exécution. L'autodérision est franchement de mise même si James Bond, vieillissant (joué par David Niven), égratigne le mythe en affirmant que son ancienne amante était une "formidable petite danseuse, espionne atroce". L'intervention de la fille naturelle de l'espionne, Mata Bond (Joanna Pettet) en costume de danse exotique ajoute à l'humour de l'action. 

Encore une fois, la fiction dépasse et corrige la réalité : on n'a jamais vu une carrière d'espionnage aussi décevante glorifiée à ce point par des scénarios inventifs. Mais alors, il fallait compter sur le prestige de Mata Hari en tant que personnage : espionne, amante, danseuse, victime, traître...il n'y avait qu'elle, semble-t-il, pour endosser tous ces visages...

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