lundi 29 août 2011

L'Espion qui venait du froid (1965) de Martin Ritt

Le film commence à Berlin, à la frontière Ouest. Tandis que le générique décline les noms des acteurs et de l'équipe, la caméra se déplace sur un pont couvert de neige. Un prélude de piano résonne. Ambiance très calme, qui peut étonner dans ce qui est considéré comme un must du film d'espionnage. Mais la menace plane. Elle éclate brutalement avec la mort d'un agent anglais qui était censé traverser la frontière pour rejoindre ses supérieurs. Et le visage du héros, l'espion Leamas (Richard Burton) reflète une lassitude infinie. Ainsi commence le film dont je vais vous entretenir aujourd'hui : "L'espion qui venait du froid".



Adapter un roman de John le Carré n'est pas une tâche aisée : ses oeuvres, riches et complexes, dépassent souvent le format d'un long-métrage (c'est d'ailleurs dans le cadre de mini-séries que deux de ses romans ont rencontré une adaptation quasi-parfaite, mais j'en reparlerai plus tard). Encore Martin Ritt devait-il travailler sur un roman de la première période de Le Carré, plus bref et concis que ses chefs-d'oeuvres de la maturité. L'histoire est celle d'Alec Leamas, espion anglais désabusé, qui a été à la tête de la station de Berlin-Ouest pendant neuf ans. Plusieurs de ses agents ayant été tués par Hans Dieter Mundt, le chef des Services Secrets d'Allemagne de l'Est, il est rapatrié à Londres où son chef, le diabolique "Control" lui fait part de plans particuliers à son égard. Leamas va faire semblant d'être mis au rencard et de plonger dans la dépression, afin de constituer aux yeux de l'Est, un traître potentiel à récupérer. Les secrets qu'il divulguera à l'adversaire jetteront le doute sur la loyauté de Mundt, en le faisant passer pour un agent double vendu à l'Angleterre. Leamas trouve un travail dans une bibliothèque où il rencontre Liz Gold, jeune femme communiste qui tombe amoureuse de lui. Il doit cependant cesser leur liaison après que des agents de l'autre côté aient enfin établi le contact. Notre héros part pour la Hollande où il est interrogé sur ses informations. Mais, soudain, la mission dérape : le MI6 a lancé un avis de recherche pour retrouver Alec. Inquiets, ses contacts décident de le passer à l'Est et Leamas, la mort dans l'âme et ne comprenant plus rien du tout, se retrouve de l'autre côté du rideau de fer. Il est accueilli par le second de Mundt, Fiedler, qui compte utiliser ses preuves pour renverser son supérieur. Malheureusement, Mundt fait arrêter les deux hommes et l'intervention inopinée de Liz va encore tout compliquer...

Histoire amère et aux antipodes d'une image glamour de l'espionnage, l'oeuvre de John le Carré a eu un impact profond sur ses contemporains. Graham Greene (un modèle de Le Carré) déclara d'ailleurs qu'il s'agissait de la meilleure histoire d'espionnage qu'il ait jamais lu. Mais comment traduire une telle histoire en termes cinématographiques ? Il paraît que le résultat ne parut pas satisfaisant aux yeux de Le Carré. C'est néanmoins un drame thriller bien ficelé et rythmé. Ritt nous guide avec une précision glaçante jusqu'à l'inéluctable et tragique conclusion. Le grand intérêt du film, en dehors d'un noir et blanc très réussi et d'un scénario à la fidélité honorable, réside dans la performance des acteurs : Richard Burton compose un Leamas douloureux, rogue et attachant. Je ne l'avais jamais vu dans autre chose que dans "Cléopâtre" où il était un peu écrasé entre Liz Taylor et Rex Harrison. Ici, ses dons d'acteurs ne font aucun doute et ne faiblissent à aucun moment du film. De même pour Oskar Werner, dans le rôle de Fiedler. Son personnage était plus présent dans le roman original mais Werner s'arrange très bien de ce qu'il a et correspond tout à fait à l'image, ambiguë mais émouvante de cet agent révolté. Claire Bloom est un peu âgée pour le rôle de Liz (renommé Nan, à cause de Liz Taylor d'après les rumeurs) mais elle est juvénile et touchante. Peter Van Eyck (Mundt) et Cyril Cusack (Control) font voir deux versants inhumains et glaçants de l'espionnage : le chef de la Station Berlin-Est et le boss du MI6 sont aussi dépourvus de sens moral que d'émotions. La seule grande faiblesse du film réside dans le cast de Rupert Davies dans le rôle de George Smiley. J'étais très excitée à l'idée de voir le tout premier Smiley de l'histoire du cinéma : non seulement il ne correspond pas du tout physiquement au célèbre maître espion, il ne fait pas non plus part des ambiguïtés du Smiley de l'époque. Son obéissance reluctante à l'égard de Control aurait pourtant été une intrigue secondaire ingénieuse. 

Je ne peux m'empêcher de vous faire partager mon admiration pour certaines séquences du film alors, on y va : la rencontre Leamas-Control, au début de l'action; la prise de contact de Leamas dans un bar où une danseuse se déshabille sans entrain; les scènes de la bibliothèque où l'absurdité du travail d'Alec apporte un peu d'humour bienvenu; la prise de conscience du héros qu'il est tombé dans un piège lorsqu'on l'amène à l'Est; les discussions entre Leamas et Fiedler; le procès de Mundt, muet, tandis que ses accusateurs deviennent des accusés sous le regard froid d'un jury; la confrontation Leamas-Nan alors qu'ils s'échappent de Berlin-Est et son fameux discours sur la nature de l'espion : "Pourquoi prends-tu les espions ? Pour des prêtres, des saints, des martyrs ? Non ! C'est un minable défilé d'imbéciles vaniteux, de traîtres aussi, oui." Dans un monde où il ne peut plus croire en rien, où il a été trahi par tous, Leamas choisit l'abandon et le suicide. Par amour ? Ou pour trouver refuge dans la mort et l'oubli ? En cela, les plans finals du film sont incroyablement mélancoliques : le calme est revenu, Mundt et Control continueront sans problèmes leur alliance secrète, les frontières sont brouillées mais Alec et Nan n'ont pas su traverser la leur...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire