jeudi 1 septembre 2011

James Bond et "M"

La mythologie des James Bond déborde de personnages récurrents, jouant un rôle pivot dans la vie de notre agent secret irréaliste favori. Parmi ceux-ci, on pense tout de suite à "M", le chef taciturne du MI6 : à la fois modèle, mentor et, parfois, antagoniste de James. Le sujet du jour sera d'examiner un peu les rapports entre ces deux personnages, plus complexes qu'ils n'y paraissent au premier abord...



Pour commencer, quelques mots sur "M" lui-même. De son vrai nom Miles Messervy, il s'agit d'un amiral à la retraite affilié à la fin de sa carrière militaire à la tête de ce que James Bond nomme, selon le code en vigueur, l'Universal Export. Aucun de ses proches n'est au courant de sa position au centre des Services Secret. D'ailleurs, il n'a pas vraiment de vie privée et vit seul dans un château à la campagne (où James Bond dans "Au Service Secret de Sa Majesté" passe un des Noël les plus sinistres de sa vie). "M" est un personnage décidément mystérieux. Avec lui, Ian Fleming crée le type du maître espion taciturne, quasi anonyme ("C" chez Graham Greene en constitue une variation plutôt cocasse). Cela dit, c'est un homme d'une grande autorité, farouchement patriote et d'une pudeur victorienne. Ses collègues, Bill Tanner et la secrétaire, Miss Moneypenny, sont souvent les victimes de son caractère haut en couleurs même si cette dernière affirme qu'il dissimule un coeur d'or. 

"M" n'apparaît pas à proprement parler dans la première aventure de Bond, "Casino Royale". Il est plus un prologue qu'un personnage. En revanche, dès "Vivre et laisser mourir", son tempérament se dessine. La confrontation entre le maître et son agent devient un rituel obligé de chacune des aventures. Au fil de celles-ci, "M" projette surtout une image d'autorité omnisciente vis-à-vis de Bond. Pour cet agent orphelin et obéissant, il est à la fois le symbole du père et de la patrie que le "fils spirituel" respecte et admire tout en se moquant gentiment de lui. "M", de son côté, ne laisse jamais trahir sa (possible ?) affection à l'égard de 007. Il ne se lasse pas de désapprouver son imprudence (voir la scène du beretta dans "James Bond contre Docteur No") et de déplorer ses nombreuses aventures féminines : même si dans "Bons Baisers de Russie" il demande explicitement à son agent de "jouer le gigolo pour l'Angleterre".  Ses remerciements sont du genre lapidaire mais ils n'en ont que plus de valeur pour les heureux élus qui les reçoivent. C'est dans "Moonraker" que leurs relations sont les plus harmonieuses : "M" y invite James à son Club très select, les Blades, où ils partagent un repas gastronomique avant d'essayer de démasquer l'homme d'affaires Hugo Drax. A la fin de l'aventure, "M" fait envoyer un nouveau beretta à son agent accompagné d'un mot écrit à l'encre verte (sa signature habituelle) "Vous pourriez en avoir besoin". Pour le meilleur et pour le pire, James Bond et "M" sont indissociables et complémentaires. Le premier obéit au second même quand il n'en a aucune envie mais ne se prive pas de lui casser du sucre sur le dos et d'envisager de démissionner. Comme il le fait observer à une de ses conquêtes, Tiffany Case dans "Les Diamants sont éternels", James n'envisage pas le mariage parce qu'il est, en quelque sorte, marié à "M".

A partir de "James Bond contre Docteur No", les rapports entre l'agent secret et son patron commencent à tourner vinaigre. "M" est ulcéré par l'obstination de James à utiliser le beretta (qu'il lui a pourtant offert et qu'il juge maintenant inefficace) et, en retour, 007 considère la mission qu'on lui a assigné à la Jamaïque comme des vacances forcées. Dans "Goldfinger", "M" sera furieux contre son agent pour avoir eu des relations imprudentes avec Jill, la petite amie d'Auric Goldfinger. Et dans "Opération Tonnerre", il l'enverra quasiment de force dans une maison spécialisée pour se refaire une santé, quelque peu endommagée par l'alcool, le tabac et les aventures. Néanmoins, leur véritable rupture ne deviendra explicite que dans "On ne vit que deux fois". Inconsolable après la mort de son épouse Tracy, quelques jours à peine après leur mariage, James Bond est à la dérive et ne se satisfait plus de son travail au sein du MI6. Pour la première fois, "M" n'est pas vraiment capable de secouer le jeune homme et de le remettre dans le droit chemin. En désespoir de cause, il l'envoie au Japon où James Bond fera face à une des missions les plus bizarres de sa carrière. La collaboration "M"-Bond connaîtra un dénouement inattendu : devenu amnésique après le Japon, James erre en U.R.S.S. où il est reconnu et récupéré par le KGB. Après avoir subi un lavage de cerveau, on l'envoie à Londres dans le but de tuer "M" ("L'homme au pistolet d'or"). Avec son flegme habituel, "M" évite l'agression mais sa compassion pour celui qui était autrefois son meilleur agent ne l'empêche pas de le déclarer irrécupérable. Malgré l'indignation de Bill Tanner qui le traite de "vieux coeur de pierre", "M" envoie Bond dans une mission-suicide contre l'aventurier gangster Scaramanga. L'idée est que Bond réussisse où tant d'autres ont échoués ou bien qu'il termine sa carrière par une mort glorieuse. Fleming laisse entendre une certaine déception de la part de "M" : son protégé et bras droit n'est plus qu'une loque. Il veut lui faire retrouver sa dignité même si ça signifie la mort.

L'happy end est au programme de cette dernière et décousue aventure de James Bond. Bien sûr, l'agent réussira avec succès à éliminer son nouvel adversaire et il retrouvera au passage l'enthousiasme et la vigueur dont son veuvage l'avait diminué. Blessé mais bien vivant, James reçoit des preuves concrètes de sa réconciliation avec "M" et le Service : des félicitations plus chaleureuses que d'habitude et le titre de chevalier. James Bond feint l'indifférence mais son émotion est évidente : "Pourquoi doit-il toujours signer "Messager" au lieu de "M" ?...Je crois finalement qu'il est aussi romantique que tous les crétins qui ont quelque chose à voir, de loin ou de près avec le Service." Aussi romantique que Bond lui-même alors. Ou peut-être que Fleming.


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