mercredi 14 septembre 2011

Notre agent à la Havane (1959)

Après mon absence de dix jours sur le blog, je reprends aujourd'hui le clavier (à défaut de la plume) afin d'attirer votre attention sur un petit film assez méconnu de Carol Reed : "Notre agent à la Havane". Adapté d'une oeuvre du romancier Graham Greene (tel le plus célèbre "Troisième Homme"), ce film raconte l'histoire d'un espion mythomane qui abuse de la confiance des Services Secrets Britanniques sur les agissements soviétiques à la Havane. Il aurait pu facilement tourner au drame. Or, c'est une comédie. Parce que l'espion en question est un modeste vendeur d'aspirateurs, dépassé par les exigences financières de sa fille adolescente et que ceux qui l'engagent ne sont pas des gens beaucoup plus sérieux...


Commençons par le commencement : James Wormold (Alec Guinness) est un veuf anglais encore jeune qui coule une vie paisible, quoique un peu excentrique, à la Havane où il vend des aspirateurs. Sa fille Milly (Jo Morrow), une adolescente aussi pieuse que délurée lui donne bien du souci, autant par ses demandes extravagantes que par les prétendants qu'elle attire, à l'exemple du pince-sans-rire capitaine Segura (Ernie Kovacs) qui fait la loi dans la ville. Contacté par un agent anglais, Hawthorne (Noel Coward), Wormold se retrouve soudainement dans la position d'un informateur pour le MI6. Le problème est qu'il ne parvient pas à engager d'espions ou à dénicher le moindre secret. Afin de continuer à recevoir son salaire, il se décide à inventer les intrigues que tout le monde est si anxieux de le voir découvrir. James se retrouve bientôt à la tête d'un réseau imaginaire et attire l'attention de Londres sur des constructions suspectes dans les montagnes, qui sont en réalité des dessins obtenus en copiant le plan d'un aspirateur. Le MI6 dépêche une séduisante secrétaire, Beatrice Severn (Maureen O'Hara), pour lui venir en aide. Notre agent à la Havane ne va tarder à se trouver dépassé par les événements. D'autant que les soviétiques, croyant eux aussi qu'il a trouvé quelque chose, veulent sa mort...

Graham Greene avait rangé son roman dans la catégorie des "divertissements" à l'opposé du "Facteur humain"(1978) de facture plus sérieuse. Cependant, on peut se rallier à l'opinion de John le Carré qui qualifie ce classement d'un peu facile. En effet, si le ton général de ce livre et de son adaptation au cinéma est indéniablement comique, les thèmes qu'ils soulèvent n'en sont pas moins graves et portent, entre deux rires, à la réflexion. Ce que montre "Notre agent à la Havane", c'est le ridicule des engrenages de l'espionnage, la crédulité et la vanité de ses participants. Les actes de Wormold reçoivent la confiance et les félicitations de ses supérieurs. Plus il ment, plus on le croit. Or, ses inventions sont surtout une vision déformée et idéalisée de la réalité (tel son recrutement imaginaire d'agents), une tentative d'élever la vie au rang de la fiction car c'est précisément ce que lui demande le Service. Le héros reste pourtant sympathique jusqu'au bout, par son dévouement envers sa fille et la secrétaire dont il ne tarde pas à tomber amoureux. Son seul but est de gagner l'argent que le MI6 jette par les fenêtres avec autant de bonne volonté. Il est entouré par une galerie d'excentriques : son meilleur ami est un docteur allemand, Hasselbacher (Burl Ives, surprenant), fasciné par des expériences bizarres; les espions anglais sont des étourdis qui se conduisent comme dans une histoire de James Bond : le chef, "C" (Ralph Richardson), est incapable de lire une carte. Cependant, la gravité et l'ambiguïté sont bien présentes dans cette comédie loufoque. L'histoire de Wormold entraîne des morts bien réelles, y compris celle de son meilleur ami, et il doit se défendre en tuant un ennemi qui n'est même pas vraiment antipathique, Hubert Carter. Temps de quitter le navire ! James quitte la Havane en compagnie de Milly et de Beatrice. Le happy end qu'il reçoit à Londres est plus ironique que naïf : les autorités du Service ont réalisé qu'il était plus dangereux d'avouer leur propre crédulité que de laisser les mensonges de leur ex-agent impunis. Wormold se retrouve donc libre, payé et décoré pour des services qu'il n'a jamais rendus et qu'il accepte avec joie. 

L'un des aspects les plus attachants de ce film atypique réside dans son ambiance déjantée, tour à tour légère et noire mais toujours très rythmée. Invité à un banquet des représentants d'aspirateurs à la Havane, Wormold doit ainsi faire un discours tout en étant menacé de mort, car il sait que ses ennemis ont empoisonné son plat. Plus tard, il se débarrasse du capitaine Segura en le soûlant au terme d'une partie d'échecs où les pions font figure de mini bouteilles d'alcool. Mais il y a aussi la performance excellente d'Alec Guinness en homme affable et distrait qui devient un espion menteur sans jamais perdre sa bonne humeur et son esprit pratique. Il est bien entouré par la jolie Maureen O'Hara, le très bon Ernie Kovacs et le toujours réjouissant Noel Coward. Milly, jouée par Jo Morrow, avait été critiquée avec fureur par Graham Greene : elle est pourtant très amusante. Donc un très bon film à découvrir, collaboration épatante de Greene et Reed, et une des meilleurs productions des studios Ealing. John le Carré en reprit l'idée originale pour son roman "Le tailleur de Panama" où un tailleur raconte des histoires dangereuses au MI6. Mais l'humour de la première partie disparaît pour le drame et on ne retrouve pas la légèreté ironique dont savait faire preuve Greene. Dans une littérature qui a su si souvent montrer les faux semblants et les bizarreries du monde gris de l'espionnage, on aurait bien besoin d'autres agents à la Havane.

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